Les tatoueurs ont-ils raison d’être inquiets pour 2022 ?

  
 

 

Le 29 décembre 2021, Le Parisien publiait un article titré 5 minutes pour comprendre l’inquiétude des tatoueurs, menacés par une réglementation européenne. Il revient sur les nouvelles normes qui, à compter du 4 janvier 2022, interdiront l’utilisation de certains pigments colorés dans les encres utilisées par les professionnels du secteur.

 

2013 et 2021 : même combat ?

« Les tatoueurs français pourront-ils encore tatouer en couleur à partir du 4 janvier prochain ? » C’est la question que pose le quotidien régional en guise de préambule. Ce n’est pas la première fois qu’un grand organe de presse s’intéresse au sort des professionnels de l’encrage en période de Noël : le 25 décembre 2013, Le Monde publiait un article intitulé Les tatoueurs vont pouvoir utiliser la couleur. En 8 ans quasiment jour pour jour, les choses ont-elles changé ?

 

Pour répondre, un rappel des faits s’impose. En 2013, le monde du tatouage était en émoi en raison d’un arrêté ministériel qui prétendait interdire 59 colorants sur les 153 utilisés dans les produits cosmétiques, notamment dans les encres de tatouage. Un verdict contre lequel notre association avait milité, jusqu’à obtenir gain de cause.

 

Comprendre la menace qui pèse sur certains pigments dès 2022

Aujourd’hui, ce sont encore les pigments utilisés dans les encres de tatouage qui sont érigés au rang de bêtes noires. Mais l’échelle a changé : on ne parle plus du simple Hexagone mais bien de l’Union européenne toute entière. Le Parisien résume :

 

« Les encres font l’objet d’une attention particulière de la part de l’UE. Elles sont encadrées par le règlement européen Reach. Il vise à protéger la santé humaine et l’environnement en analysant les risques liés aux substances chimiques présentes dans les peintures, les produits de nettoyage, les aliments ou encore le maquillage.

 

Sur son site, l‘Agence européenne des produits chimiques (Echa, pour European Chemicals Agency), à l’origine des recherches sur ces produits, indique qu’elle limite ses restrictions à "des substances chimiques qui provoquent des cancers ou des mutations génétiques, des substances chimiques toxiques pour la reproduction ainsi que des sensibilisants et irritants cutanés". Et elle affirme que "les pigments d’encre peuvent migrer de la peau vers différents organes, tels que les ganglions lymphatiques et le foie". »

 

Ce sont ces risques que la Commission européenne souhaite réduire – et ce, dès le 4 janvier 2022. À partir de ce mardi, les fabricants d’encres (que, par anglicisme, on appelle aussi suppliers) auront une année pour s’adapter, jusqu’à une nouvelle échéance : janvier 2023. D’autres pigments seront alors proscrits à leur tour, ceux utilisés dans les verts et les bleus.

 

Le double constat que doivent dresser les tatoueurs

Cette décision impose plusieurs constats. Le premier ? Il existe un indéniable manque de cohésion, de concertation entre les différents représentants des professionnels français du tatouage. Cette lacune, notre association l’a adressée une nouvelle fois il y a quelques jours, appelant à une véritable union de tous les acteurs du tattoo du pays. Ce n’est qu’en nous fédérant que nous serons capables de peser sur les décisions européennes ; un Vieux Continent qui, pour le moment, fait de notre métier ce qu’il entend.

 

Le second ? En dépit des effets d’annonce, l’alarmisme n’a pas sa place dans le cas particulier de l’interdiction de certains pigments. « Dans le pire des scénarios, toutes les encres utilisées dans le tatouage seront, à terme, interdites », prédit l’article du Parisien. Chez Tatouage & Partage, nous n’adhérons pas à cette prophétie.

 

La formidable capacité d’adaptation du tatouage

« Quand bien même on nous enlèverait quelques éléments de la palette chromatique, on s’adapterait », croit Stéphane Chaudesaigues. Interrogé par le journal, le président de Tatouage & Partage s’en explique : « Cette pratique date de la préhistoire, aujourd’hui elle est à la mode. Mais le tatouage survivra à tout, car il est culturel à la base ».

 

De son côté, Karine Grenouille rappelle : « Cette réglementation n’est fondée sur rien de scientifique. Ils n’ont pas fait d’études de toxicologie. Ils ont fait un copier-coller de la réglementation sur la cosmétologie. L’encre dans un tatouage représente une dose infime de pigment appliquée une seule fois, ce n’est pas comparable à une crème de jour ». Nous partageons l’état des lieux dressé par la secrétaire du SNAT. Mais il est ici capital de souligner la formidable capacité d’adaptation des fabricants d’encres.

 

Un exemple parmi d’autres ? Citons Lou Rubino. Le fondateur de la marque World Famous Tattoo Ink a récemment fait part de la création d’une nouvelle gamme de produits. Baptisée World Famous Limitless, elle se veut respectueuse des nouvelles normes édictées par le règlement européen Reach.

 

Cette capacité d’adaptation des suppliers doit être corrélée avec le boom de l’activité tattoo qu’a connu le monde au cours des dernières décennies. Environ 10 000 personnes travaillent dans le secteur du tatouage, et 15 000 tattoos sont effectués chaque jour, rappelle Le Parisien. Le tatouage n’est plus une économie parallèle comme au 20ème siècle ; il est devenu une manne financière que les autorités ne sont pas près d’abandonner.

 

La véritable question est celle d’un statut pour tous les tatoueurs

Pour conclure, rappelons qu’en 2022, le tatouage en couleurs aura toujours lieu. La vraie question qui doit animer le secteur est celle de la création d’un réel statut juridique pour les professionnels de l’encrage. Ou, comme le martèle Stéphane Chaudesaigues pour le journal parisien, « aujourd’hui, sans statut, on n’a aucune assurance professionnelle, on n’a aucune reconnaissance professionnelle. […] On risque trop gros car on travaille sans filets ».