Tatouage : le grand raté d’Europe 1

  
 

 

Europe 1 s’est intéressée au tattoo, et le monde du tatouage était en droit d’espérer un traitement des sujets de fond qui préoccupent en ce moment la profession. À la place, la radio a offert un triste mélange de poncifs mille fois entendus et de clientélisme. Coup de gueule.

 

Le relais médiatique du code de déontologie souhaité par Tatouage & Partage

 

Le 5 septembre 2018, Tatouage & Partage publiait sur son site internet son plaidoyer pour un code de déontologie du tatouage, consulté à ce jour près de 7 000 fois via la page Facebook officielle de notre association. Notre postulat ? Aujourd’hui, n’importe qui peut devenir tatoueur : il suffit de se soumettre à une formation à l’hygiène de 21 heures – ni plus, ni moins. Les dérives qui en découlent, nous les connaissons : chaque année, ces centaines de tatoueurs font exploser l’offre et cassent les prix, certains s’installant clandestinement à l’abri des instances de régulation.

 

Ce cri du cœur, Tatouage & Partage l’a relayé au plus nombreux : à ses membres comme aux simples amoureux du tattoo, mais également aux médias généralistes comme spécialisés à travers un communiqué de presse. Certains organes majeurs, à l’instar de France 3, s’en sont faits l’écho. Europe 1 y compris – et plutôt deux fois qu’une.

 

Quand Wendy Bouchard et Olivier Delacroix traitent du tatouage pour Europe 1

 

Le 11 septembre 2018, la radio privée membre du groupe Lagardère consacrait une première émission au tattoo. Le sujet traité par la journaliste Wendy Bouchard ? Tatouages : trois conseils pour ne pas se faire avoir par un charlatan… Le lendemain, l’animateur Olivier Delacroix persistait et signait avec une deuxième exploitation du tattoo : Ce que les tatouages disent de nous.

 

Olivier Delacroix - Ce que les tatouages disent de nous (L'intégrale)


 

En l’espace de 48 heures, Europe 1 s’est inscrite dans la peu glorieuse lignée de M6 – on se souvient du dernier Zone Interdite sur le sujet… – en offrant à ses auditeurs et à ses lecteurs, deux émissions sans nouvel apport ni traitement de fond. À la place, Wendy Bouchard et Olivier Delacroix ont opté pour des questions plus faciles, plus "sexy"… et cent fois traitées par le passé : "pourquoi se fait-on tatouer", "comment se fait-on tatouer", "où se fait-on tatouer", "est-ce que ça fait mal de se faire tatouer", etc.

 

Un sujet de fond rapidement passé sous silence

 

Chacun est libre de traiter d’un thème dans l’angle qui lui sied. Ce qui laisse notre association interloquée, c’est qu’Europe 1 n’ait fait que survoler – et encore ! –  le sujet pour lequel leurs journalistes nous avaient contactés en premier lieu suite à notre communiqué de presse : l’appel à un code de déontologie du tatouage, et notre demande concernant un statut pour tous les tatoueurs de France.

 

Nous avons bien vite compris qu’aborder les problèmes de fond n’intéressait pas certains invités ou amis d’Olivier Delacroix. C’est une profonde déception, puisque nous nous réjouissions à l’idée qu’un journaliste de sa qualité puisse s’emparer du tattoo. Nous pensions que lui, à défaut d’autres, allait aborder ce qui est vraiment urgent d’aborder pour les tatoueurs : la question du statut, que l’on veuille être reconnu comme artisan d’art ou comme artiste.

 

Aucune allusion de cette nature n’a été faite dans l’émission : un comble pour ce qui devait en être la principale motivation. Aucune mention – exception faite d’un bout de message Facebook de l’une de nos membres lu et aussitôt interrompu – du fait qu’en 2018, les tatoueurs ne jouissent toujours d’aucun statut. Aucune mention de notre impossibilité d’avoir des apprentis, aucune mention de notre incapacité à profiter d’une assurance professionnelle, aucune mention de notre impuissance à faire reconnaître une maladie professionnelle.

 

Les mêmes intervenants… pour un même résultat

 

Comment, dès lors, Wendy Bouchard et Olivier Delacroix ont-ils meublé leurs émissions ? La réponse : avec des témoignages à la pertinence toute relative et, surtout, avec une mise à l’honneur de la sempiternelle même mafia du tattoo français : Jérôme Pierrat, spécialisé en criminologie et rédacteur en chef de Tatouage Magazine, Tin-Tin, président du SNAT et militant d’une reconnaissance du tatouage comme art, ou encore Mikael de Poissy, membre de la même association.

 

Leur point commun ? Eux aussi réclament la reconnaissance du métier de tatoueur, toujours officiellement inexistant à ce jour. Ils ne revendiquent pas le même statut que Tatouage & Partage, mais le fond du combat demeure le même. Pourquoi, dès lors, ne pas profiter des audiences d’Europe 1 pour le clamer haut et fort ?

 

Reproches en douce et boycotts discrets

 

L’un des journalistes ayant interviewé Tatouage & Partage après réception de notre communiqué de presse nous a confié que "certains membres du SNAT [nous] reprochent de tirer la couverture à [nous]". Quel paradoxe ! En particulier lorsque c’est bel et bien notre association qui est boycottée sur les plateaux télévisés et radiophoniques. Côté literie, la couverture est bien assez grande pour tout le monde : nous ne sommes pas obligés d’être d’accord, mais nous ne sommes pas non plus obligés de nous faire des coups en douce.

 

Tatouage & Partage ne demandait même pas à être citée. Une assistante de rédaction d’Europe 1 nous a d’ailleurs confié qu’une telle citation "pouvait froisser" l’invité de Wendy Bouchard, Tin-Tin. Nous demandons simplement à ce que les combats que nous menons soient abordés pour une information complète et exhaustive offerte aux auditeurs.

 

Nos priorités pour le tatouage : statut, formation, transmission

 

Nous estimons qu’il aurait été important d’évoquer nos avancées auprès des députés et de l’Éducation nationale sur un statut pour tous les tatoueurs, et nos progrès quant à la mise en place d’une formation obligatoire en alternance, libre et gratuite, pour les nouvelles générations de tatoueurs. Nous aurions aimé voir traiter la question des artisans d’art, un statut au sein duquel sont regroupés la maitrise technique obligatoire dans notre discipline, le fait de répondre à une commande émanant d’un client, et la part de création que, parfois, l’on nous demande ou pour laquelle un tatoueur est sollicité.

 

Aujourd’hui, à l’heure du buzz, de la consommation compulsive de brèves prémâchées et à celle de l’infotainment, nous aimerions voir naître chez les journalistes une volonté de produire un vrai travail journalistique. Consacrer un sujet à "pourquoi je me fais tatouer à 86 ans" ou "pourquoi je cache à mon père que je suis apprentie tatoueuse" (eh oui, papa préférerait sans doute un métier qui existe !) ? Pourquoi pas – mais surtout pas ad nauseam comme c’est le cas depuis trop d’années. Alors quand nous entendons un journaliste d’une chaîne de radio à grande écoute proférer que l’art est un métier, alors que l’art, c’est l’art, et l’art se suffit à lui-même, on se dit qu’on n’est pas sortis du sable…

 

Pour un vrai travail d’investigation sur le tatouage

 

Il est profondément regrettable que les journalistes ne s’intéressent pas aux sujets qui comptent réellement et rechignent à mener un vrai travail d’investigation. Le milieu du tatouage est pourtant rempli de gens épatants, de pépites, de sujets à aborder, de légendes et d’anecdotes. Mais aujourd’hui, il a besoin d’exister réellement. Tatouage & Partage appelle à un débat, sain et constructif, entre les différents partis sur ces sujets de prime importance. Nous croyons qu’un échange de cette nature est possible, en dépit des désaccords et des mésententes. On ne demande pas à la droite et à la gauche de s’aimer d’amour, pas vrai ?

 

Artistes ou artisans d’art, il faudrait enfin s’occuper des tatoueurs et leur obtenir un statut, une assurance en cas de problème avec un client, leur octroyer la possibilité de faire reconnaitre leurs maladies professionnelles, et le droit de transmettre leur savoir légalement. Dans ces débats, l’égo n’a pas sa place – seul compte d’être égaux.