Tatouage et criminalité sont-ils liés ?

  
 

Le tatouage a, encore aujourd’hui, notamment dans l’imaginaire collectif des générations les moins jeunes, la réputation d’être une pratique de criminels. Si cette idée semble de plus en plus s’effacer, elle continue tout de même à coller définitivement à la peau du tatouage. Quel paradoxe !

Les fondements servant de justification au lien tatouage/criminalité

Cette réputation persistante a plusieurs fondements. Le premier tient au fait qu’effectivement, de nombreux groupes criminels inscrivent le tatouage dans leurs pratiques. C’est le cas des Yakuzas au Japon, des détenus des prisons russes, de la Triade chinoise, des gangs hispano-américains, ainsi que de certains mythiques clubs de motards (même s’ils ne revendiquent pas leur statut de groupe criminel, ce que contestent les policiers de l’ATF aux USA…).

Cette réputation indélébile tient aussi au fait que des auteurs d’écrits scientifiques, à qui l’on fait légitimement confiance, participent à l’assimilation tatouage/criminalité. A titre d’exemple, voici un extrait d’un texte cosigné par les docteurs Jean Civatte et Jacques Bazex :

« [La pratique du tatouage et du piercing], qui correspondaient d’abord à des camouflages avant de devenir un rite initiatique du passage de l’enfance à l’âge adulte, ont un lien avec certains modes de vie ou comportements sociaux. Elles traduisent plusieurs états : perception négative des conditions de vie, mauvaise intégration sociale, souci d’amélioration de l’image de soi, précocité des rapports sexuels avec grand nombre de partenaires, homosexualité, usage de drogues et consommation d’alcool, activités illicites et appartenance à un « gang », mauvaises habitudes alimentaires. […] Il en ressort que, même si toutes les couches sociales sont concernées, surtout à cause d’un indiscutable phénomène de mode, ces pratiques, réalisant plus ou moins des marqueurs identitaires ou d’appartenance à un groupe social, sont plus le fait de populations fragiles (adolescents, délinquants, individus en proie à un mal-être et ayant besoin d’affirmer leur identité, sujets incarcérés…) ou ayant une conduite à risque (addictologie, précocité et multiplicité de la sexualité) »

Ce texte pose différentes difficultés :

• A lire les auteurs, il n’est pas possible de recourir au tatouage sans avoir au moins l’un des comportements cités. Il n’y a en effet aucune nuance dans les propos tenus. Ils ne disent pas que les comportements sont possibles, ils affirment l’existence d’un lien et le fait que la pratique du tatouage traduit les états cités.

• Les auteurs semblent considérer l’homosexualité comme un problème. Ils la placent en effet à côté d’une multitude de phénomènes négatifs, comme notamment l’usage de drogues et la participation à des activités criminelles (le fameux lien tatouage/criminalité)

• Mais le plus gros problème de ce texte tient au fait que c’est un rapport publié par l’Académie nationale de médecine en 2007. C’était il y a 10 ans, c’était hier…

Tout d’abord, il est important de préciser qu’en France, même si le « métier » de tatoueur n’a pas de statut légal, sa pratique est règlementée, notamment sur les questions liées à l’hygiène. Surtout, le fait d’être tatoué n’est pas interdit par la loi. Au contraire, au Japon, cet art fut interdit de 1872 à 1948, et fait aujourd’hui l’objet d’une répression indirecte (obligation pour les tatoueurs d’avoir un diplôme de médecin, interventions et arrestations policières dans les tattoo shops, interdiction d’accès à certains lieux pour les personnes tatouées). Une telle législation n’existe pas en France. En tout état de cause, l’actuelle démocratisation du tatouage touchant l’ensemble de la population à travers le monde, et qui a débuté dans les années 1970 et 1980 fait que ce lien entre tatouage et criminalité n’a plus aucune légitimité. Mais ce lien a-t-il été un jour légitime ?

Un lien ancien mais erroné

L’existence de groupes criminels tatoués n’est pas récente. Dès le 19ème siècle, l’Europe voit cette pratique se développer chez certains criminels, pratique que l’on constate à l’époque surtout dans les prisons. On retrouve des traces de criminels tatoués plus tôt dans l’histoire et sur plusieurs continents, mais leurs encrages sont le plus souvent des sanctions infamantes infligées par l’autorité publique.

Aux 19 et 20ème siècles, des scientifiques élaborent des théories liant tatouage et criminalité. Ces théories sont par exemple défendues par le professeur Cesare Lombroso, le docteur Alexandre Lacassagne ou encore le docteur Charles Perrier. Mais toutes leurs théories sont imparfaites et incomplètes, car elles n’étudient la pratique du tatouage que dans les prisons, voire dans les asiles, mais jamais dans l’ensemble de la population, ce qui fausse nécessairement leurs études et leurs conclusions.

Si à cette époque le tatouage se retrouve effectivement chez les criminels, il est également pratiqué par les militaires, les marins, les ouvriers, les compagnons, dans le monde du spectacle et même dans la haute bourgeoisie voir l’aristocratie, notamment la noblesse britannique où l’encrage était courant. Le point commun de ces différents groupes était leur marginalité et leur prise de conscience d’appartenance à ce groupe (assimilable à la conscience de classe de Karl Marx). Le tatouage peut alors être pour eux une forme de symbole d’affiliation au groupe, pour en revendiquer l’appartenance. Il n’a alors jamais été une pratique exclusivement criminelle.

Le tatouage, de pratique de groupe à pratique de soi

La démocratisation du tatouage a abouti à ce que n’importe quel individu puisse s’encrer la peau. Il n’est donc plus nécessaire, socialement, de faire partie d’un groupe plus ou moins marginal et plus ou moins identifié, ni de ressentir le besoin de d’en revendiquer son appartenance. L’effet de mode du tatouage a donc paradoxalement rendu cet art, en le généralisant, plus individuel que jamais.

 

Benoît Le Dévédec

benoit.ledevedec@tatouage-partage.com