Japon : la lutte contre la criminalité à travers le tatouage

  
 

Tatoueuses, tatoueurs,

 

Comme nous l’avons vu dans de précédents articles, sur l’irezumi et sur les Yakuzas, les pouvoirs publics japonais luttent activement contre la pratique du tatouage et ce, depuis plusieurs siècles. A l’origine, l’art de l’encrage était visé en tant que tel, mais depuis plusieurs années les autorités justifient leur combat par la volonté de s’attaquer aux Yakuzas. Pourtant, cette justification est de moins en moins crédible.

 

Le tatouage comme outil de lutte contre la criminalité

L’administration japonaise ayant de moins en moins besoin des services des Yakuzas, et l’opinion publique ayant une image de plus en plus négative de cette organisation (pour des raisons qui ont déjà été évoquées ici), les autorités japonaises ont entrepris de lutter depuis le début des années 1990 contre cette mafia. Les différentes lois visent à rendre plus contraignante la gestion des entreprises si elles sont suspectées d’avoir des activités criminelles, de sanctionner les entreprises aidant les Yakuzas, ou encore de mettre fin à certains arrangements qui avaient lieu entre la police et les clans lorsqu’un crime avait été commis. Il y a aussi des contraintes pénales comme celle interdisant aux Yakuzas d’être plus de trois membres dans un lieu public.

 

Mais l’une des manières de s’attaquer aux Yakuzas est de s’attaquer à leur pratique du tatouage. L’Etat japonais a depuis longtemps souhaité éradiquer le tatouage pour des raisons morales, religieuses ou simplement esthétiques, considérant que le tatouage était une pratique dégradante et déshonorante. Mais depuis peu, il a intensifié ses efforts contre les tatoueurs et les tatoués, pensant ainsi affaiblir les Yakuzas, en rendant leur quotidien plus difficile.

 

La façon la plus voyante de lutter contre les tatouages est d’interdire l’entrée de certains lieux aux tatoués. Ainsi, les bains publics intérieurs et les sources d’eau chaude publiques leur sont interdits, lieux emblématiques de la culture japonaise ou la nudité est de mise. C’est également le cas des salles de sports, des piscines et de nombreux commerces. Les tatoués se voient également refuser des emplois dans la fonction publique, ou même dans les grandes entreprises, que l’encrage soit ou non dissimulable.

 

En 2012, Toru Hashimoto, le maire d’Osaka a obligé l’ensemble des fonctionnaires de la mairie à indiquer s’ils étaient tatoués ; auquel cas, d’expliquer la signification de ce tatouage. Mais cela a été jugé illégal en décembre 2014 par la Cour de Justice du Japon. Cette initiative avait pour objectif d’identifier de potentiels Yakuzas et d’éviter ainsi les affaires de corruption. Si la justice a permis ici de protéger les droits des fonctionnaires de la mairie d’Osaka, force est de constater que ce n’est pas toujours le cas.

 

Une situation difficile pour les tatoueurs professionnels

En effet, la situation des tatoueurs japonais devient de plus en plus dure : les studios de tatouage ferment, la police arrête les artistes et des amendes importantes sont infligées. Pendant longtemps, le métier de tatoueur était dans une zone grise : la profession n’était pas officiellement reconnue mais sans être interdite. Du moment que le tatoueur exerçait de manière discrète il n’avait pas de problème. Mais depuis avril 2015, la police procède à des interpellations dans des salons de tatouage. Plusieurs artistes d’un salon très connu ont été arrêtés et détenus trois semaines pour des « interrogatoires ». La presse en parle comme d’une bataille contre le crime. La politique publique visant à discréditer le tatouage aux yeux de la population remplit parfaitement ses objectifs.

 

Afin de justifier légalement ces arrestations, les autorités nippones utilisent un texte de loi voté en 2001 qui inclut dans la pratique de la médecine celle du tatouage. En outre, ce texte permet de condamner un tatoueur pour exercice illégal de la médecine, en considérant le tatouage comme un acte médical réservé aux seuls médecins. Un tatoueur a d’ailleurs reçu une amende d’environ 2 300€ pour pratique illégale de la médecine.

 

Une politique publique inefficace

Les Yakuzas, quant à eux, n’hésitent pas à réagir à cette nouvelle donne. Tout d’abord, ils s’évertuent encore plus qu’avant à ne pas dévoiler leurs tatouages en public. Plus important, les chefs de clans demandent à leurs membres de ne plus se faire tatouer, voire, pour ceux qui sont déjà encrés, de retirer leurs tatouages au laser. Cela permettrait aux Yakuzas de mieux se fondre dans la société et d’être plus discrets. Aussi, la police a mis en place des partenariats avec des cliniques pratiquant le détatouage à des coûts très faibles pour les membres de la pègre qui se sont repentis, dans un souci de facilitation de la réinsertion de ces individus.

 

Si à l’origine cette politique anti-tatouage avait pour réel objectif de lutter contre la criminalité de la mafia nippone, il semble aujourd’hui que cet objectif ait été oublié, et que la lutte contre le tatouage devient une fin en soi. En effet, alors que ces interdictions ne touchaient principalement que les japonais, même des étrangers peuvent se faire expulser de certains lieux publics malgré l’importance accordée au tourisme. Pourtant, il est absolument évident qu’un étranger ne peut pas être un Yakuza… De plus, les Yakuzas délaissant de plus en plus l’irezumi, une telle législation devient contreproductive : elle fait fuir les touristes, sans pour autant affaiblir les Yakuzas qui ont abandonné le tatouage.

 

Pire encore, le Japon est sur le point de voir disparaitre une part majeure de son identité culturelle en chassant hors de ses frontières l’irezumi. Si cet art a réussi à survivre malgré une interdiction qui a pris fin en 1948, il réussira sans doute à survivre à cette nouvelle politique publique. Cependant, alors qu’autrefois cette résistance se faisait clandestinement au sein du territoire nippon, se pose aujourd’hui la question de savoir si les artistes tatoueurs doivent s’exiler, tatouer clandestinement comme avant la guerre, ou mener un combat public pour faire évoluer les mentalités et les lois.

 

Benoît Le Dévédec

benoit.ledevedec@tatouage-partage.com