Conférences au Cantal Ink 2016 : ce qu’il faut en retenir

  
 

En étroite collaboration avec Tatouage & Partage, le Cantal Ink a proposé pas une mais bien deux conférences aux participants du Festival du Tatouage 2016. Le président de l’association Stéphane Chaudesaigues a réuni autour de lui des intervenants emmenés par Bruno de Pigalle, 1er tatoueur officiel de France. Récit.

Une conférence de tatouage qui vous a emmenés au début des années 1960

C’est l’Institut national de l’audiovisuel (INA) qui a sonné le coup d’envoi des deux conférences de tatouage organisées à Chaudes-Aigues les 2 et 3 juillet 2016. Réunis dans le cinéma La Source du petit village cantalien, le public a pu voir ou revoir le court sujet d’Yves Lemenager diffusé pour la 1ère fois à la télévision le 26 aout 1964. En 11 minutes, le reportage en noir et blanc nous parle de Bruno "Koutsikoli" (francisation du nom à laquelle nous préférerons l’orthographe authentique, Cuzzicoli), un tatoueur de Pigalle "temporairement établi dans son camion-laboratoire".

Monsieur Bruno : de l’Auvergne à Pigalle

Dès la fin de la projection et après un passage remarqué dans l’enceinte même du Cantal Ink sous les caméras et les flashs des appareils photo, Monsieur Bruno a pris la parole. Sous un parterre d’auditeurs chez qui la fascination l’a disputé à l’admiration, l’octogénaire est revenu sur sa carrière et sur sa vie aux côtés de son épouse aveyronnaise qui, enfant, vivait non loin de Chaudes-Aigues. Un clin d’œil savoureux au Cantal Ink, dont il était le parrain officiel en 2016. Mieux encore : Bruno de Pigalle révèle à l’assistance que ce sont les Auvergnats qui l’ont aidé à s’installer à Paris ! Mais surtout, le patriarche est revenu sur son statut unique de 1er homme à avoir été officiellement tatoueur sur le sol français.

De la bousille aux Beaux-Arts

Sous le regard bienveillant de Stéphane Chaudesaigues, assis à ses côtés, Bruno de Pigalle s’est longuement attardé sur la bousille – c’est d’ailleurs cette dernière qui avait donné son titre à la conférence, "De la bousille aux Beaux-Arts". Lorsque l’homme s’est installé jadis à son compte, il s’est présenté d’entrée de jeu comme un "tatoueur artistique", comme un "dessinateur intradermique". Sa volonté ? Se démarquer de cette fameuse "bousille", terme aux trop nombreuses connotations péjoratives : milieu carcéral, prostituées, rebuts du système… L’étymologie du mot parle d’elle-même : désignant l’exécution grossière d’un travail ou la détérioration profonde de quelque chose, le verbe "bousiller" s’est formé sur le nom… "bouse".

Le parcours du tattoo français décennie après décennie

Près d’un demi-siècle après les premiers tattoos "artistiques", "médicaux" et "esthétiques" de Bruno de Pigalle dans le célèbre quartier du nord de Paris, un long chemin a été parcouru par le tatouage – en France comme ailleurs. Variété des styles, qualité du trait, profondeur des ombres, travail des couleurs : l’octogénaire reconnait l’évolution sans précédent du métier qu’il exerça et témoigne de son admiration pour les professionnels d’aujourd’hui. C’est dans cet héritage que s’inscrit Loic Lavenu, 2ème intervenant de la conférence.

Un tatoueur contemporain adepte du tatouage traditionnel… et de Photoshop

Également connu sous le pseudonyme de Xoil, le Français Loic Lavenu tatoue aujourd’hui à Lausanne, en Suisse. S’il a été convié à la conférence, c’est pour parler de son parcours atypique dans le tatouage contemporain, presque à rebrousse-poil des tendances actuelles. Chez lui, point de dermographe, machine popularisée par Bruno de Pigalle et récemment entrée dans le dictionnaire. Le tatoueur aux deux tresses et à la silhouette filiforme est parvenu à casser les codes en créant de toute pièce une nouvelle méthodologie conjuguant tatouage traditionnel – autrement dit sans machine –… et logiciels informatiques. "Je fais tout sur Photoshop", revendique le Lausannois, avant de compléter : "Je n’ai jamais su dessiner". À sa manière, Loic Lavenu clôt le débat sur la nécessité d’un tel talent pour pouvoir tatouer…

Bruno de Pigalle et Loic Lavenu : entre choc générationnel et héritage artistique

C’est bel et bien à un paradoxe transcendant les générations qu’assiste le public réuni dans le cinéma : alors que Bruno de Pigalle s’attachait au tatouage artistique pour se différencier des mauvais garçons d’antan, Loic Lavenu, lui, s’écarte volontairement de toutes ces considérations pour ne plus travailler qu’à la main et créer sa propre iconographie. C’est là le signe le plus fort de tout ce qui fait la richesse et la complexité du tatouage.

Le combat de Tatouage & Partage, dans la continuité de Monsieur Bruno

À la conférence, entre l’octogénaire qui s’est éloigné de la bousille et le jeune artiste qui s’en rapproche, il y a Stéphane Chaudesaigues. L’homme personnifie un pont, un lien entre deux générations, un tatoueur hybride qui se souvient avoir jadis trainé dans les tout premiers ateliers de tatouage de France et qui, aujourd’hui, milite pour la reconnaissance d’un statut protecteur pour les tatoueurs et pour la création d’un cadre légal sans ambigüité pour la profession. C’est grâce à Bruno Cuzzicoli, le "French Sailor Jerry" à qui le magazine Inked consacrera bientôt tout un portrait, que le tatouage a fait ses premiers pas hors de la marginalité et vers une reconnaissance à la fois populaire et juridique. La raison d’être de l’association Tatouage & Partage ? Poursuivre le travail de l’homme pour offrir assurance professionnelle et possibilité d’œuvrer aux côtés d’apprentis à tous les tatoueurs de France. Les premières pierres de notre combat, c’est bien Monsieur Bruno qui les a posées, il y a 50 ans déjà.

Philippe Liotard et Lukas Zpira : l’histoire des bodmods et leur impact

Le lendemain, une 2ème conférence de tatouage s’ouvrait avec de nouveaux intervenants. Pour ouvrir le bal, deux habitués du Cantal Ink : Philippe Liotard et Lukas Zpira. Le premier est sociologue et concentre notamment ses recherches sur le corps et la sexualité. Le second est l’un des "body-hacktivistes" les plus notoires de France, à qui le journal Le Monde consacrait déjà un portrait en 2004. Ensemble, les deux hommes sont revenus sur l’histoire des bodmods. Mot-valise formé sur l’expression anglophone "body modification", le bodmod désigne une modification corporelle sciemment réalisée telle que le tattoo et le piercing.

La reconnaissance culturelle du tattoo polynésien : la conclusion des conférences de tatouage

Après une présentation et un échange aussi exhaustifs que possible sur le sujet, Philippe Liotard et Lukas Zpira ont laissé la place à un ultime intervenant : Teiki, figure emblématique du studio Tiki Tattoo de Nîmes. Le tatoueur a présenté son combat pour une reconnaissance non pas légale mais bien culturelle du tatouage polynésien, art pluriséculaire fort de particularités multiples. Une belle façon de souffler un vent mêlant Histoire et exotisme sur le Cantal Ink… et de clôturer la 2ème et dernière conférence de tatouage de l’édition 2016.

Crédit photos : Dams