Tribune de Bruno Cuzzicoli, premier tatoueur de France

  
 

Si « l’instinct suffit pour entrer en art comme on cède à l’amour », pour ma part ce fut plus  par curiosité que par amour que mon regard s’est posé sur le tatouage. Et avant tout essentiellement pour voir plus loin que l’horizon du négoce de pomme de terre où les circonstances familiales m’avaient conduit...

Et même si le tatouage n'a pas réussi à m'ensorceler, mes cinquante années passées à son service, furent une merveilleuse histoire d’amour et un superbe roman.

En ces débuts des années 60, du moins en France, « la bousille » était loin d’être synonyme du mot art. Hormis les traditionnels, « para d’Indo ou d’Algérie », « brevets du compagnonnage et vestiges de déportation » qui  se raréfiaient, le cancan usait plus de « marque des voyous », parfois de « flétrissure » plutôt « qu’œuvre de l’esprit ou d’art populaire».

J’ai même eu droit à « abomination » par un vieil yiddish en 1965.

Entretenu par la rumeur comme un trait de marginalité affichée et provocatrice, ce genre d’ornement était proscrit dans l’administration et à dissimuler soigneusement pour trouver un emploi et le conserver.

L’histoire relate que, durant l’occupation nazie, des résistants et des déportés ont payé de leur vie le fait d’être tatoués.

Les récits d’Albert LONDRES et d’Edmond LOCARD rapportent qu’en 1930, à la Cour de Georgetown (Guyane anglaise), des hommes furent jugés et incarcérés au bagne de Cayenne au seul motif que leurs « tatouages suffisaient à prouver leurs natures criminelles ».

Un demi-siècle d’ingéniosités, de contraintes, de luttes, d’études et d’adaptations ont petit à petit par le compagnonnage restreint des tatoueurs empiriques de tous les pays, forgé les bases et les règles élémentaires d’un métier où les procédés, bénéficiant des avancées technologiques à l’entour, ont abouti maintenant au TATOUAGE OEUVRE D'ART.

« L’œuvre artistique », écrit Zola, est un coin de création vu à travers un tempérament »(*).

Si cette pensée retenue par l’Autorité pour mon inscription initiale avait eu l’heur d’être soutenue par des tempéraments français moins « braillards et moins démonstratifs, "à poils" dans la neige devant un Ministère un samedi après-midi», aux moments décisifs de 1998, l’ensemble des confrères signataires, respectueux de la charte d’assurance professionnelle bénéficieraient depuis une décennie du statut et de l’Ordre des « artistes intradermiques ».

Sans négliger la couverture d’assurance professionnelle dont  mes clients et moi avons  bénéficié pendant 45 ans.

De « la bousille en pointillés » via la référence des œuvres magistrales de Stéphane CHAUDESAIGUES, de Franck LEPOCHAT du Havre  et leurs initiatives toutes aussi magistrales de « festivals régionaux »,  l’Art du TATOUAGE  a su naître, sortir de la vulgarité, grandir et offrir à nos jeunes des perspectives d'avenir noble...

Mais soyez vigilants, chers confrères, veillez pour que cette orchidée ne meurt pas ivre de liberté.

Pour avoir eu l’honneur et le bonheur d’être parmi les pionniers, à l’invitation de STEPHANE, je suis venu répondre, dans les limites de mon expérience professionnelle, aux questions que vous pourriez avoir envie de me poser.

Bruno

(*) L’avantage ou l’inconvénient de l’œuvre tatouée a de particulier que si elle se conçoit à deux, elle engage essentiellement « la couenne d’un seul », avant d’être livrée à un tiers, pour la consécration par « l’œil  de celui qui regarde » écrirait CONFUCIUS. En tatouage rien n’est jamais simple.