Tatouage mag N°87

  
 

Interview Nikko Hurtado dans le cadre de son intervention pour l’association Tatouage et Partage dans son 1er séminaire en France.

Maître incontestable du portrait en couleur, l’excellent Nikko Hurtado était de passage à Avignon, fin mai pour délivrer son savoir-faire à une foule de tatoueurs venus de toute la France et de quelques pays d’Europe mais aussi pour encrer la peau de quelques chanceux.

L’occasion d’en savoir un peu plus sur cet américain aussi discret que son travail est renversant.

A seulement 31 ans, le californien à casquette s’est imposé, depuis son studio Black Anchor Collective à Hesperia, comme l’une des figures majeures du tatouage contemporain.
Les visages qu’il grave depuis 10 ans, anonymes ou héros de la pop culture, sont aussi réalistes que vivants, humains avant tout.
Après avoir beaucoup voyagé ces derniers mois, l’artiste a fait une dernière escale à Avignon, à l’invitation de son homologue Stéphane Chaudesaigues et de son association Tatouage et Partage (www.tatouage-partage.com), offrant une démonstration, deux jours durant, à 35 artistes qui n’auraient raté ça pour rien au monde.
Tous n’ont pas eu cette chance : le séminaire a affiché complet très vite. Les veinards ont pu observé le maestro à l’œuvre, et lui poser toutes les questions nécessaires. Nous aussi.

Tatouage Mag : C’est la première fois que tu conduis un séminaire ?

Nikko Hurtado : Non, mais c’est la première fois que je tatoue au cours de l’un d’entre eux et que c’est sur deux jours complets.
Ca me rend un peu nerveux. Mais si les participants sont intéressés par ce que je dis, c’est cool.

T.M : Quel a été ton premier contact avec le tatouage ?

N.H : Mon grand-père portait des tatouages sur les phalanges et les avant-bras. Gamin ça m’a intéressé. Pourtant, j’ai un peu attendu avant de me faire tatouer moi-même. Je n’ai sauté le pas qu’à 21 ans.

T.M : Tu dessinais beaucoup petit ?

N.H : Oui et ça depuis que je suis haut comme ça (il mime). Je reproduisais les images des comics books que je lisais. Après, au lycée, j’ai pris des cours de dessin mais je n’ai pas fait  les beaux arts ou quelque chose comme ça.

T.M : Tu as voulu t’orienter vers le tatouage au sortir de l’adolescence ?

N.H : Ca m’intéressait, mais la plupart des tatoueurs que j’ai rencontrés à cette époque n’étaient pas très sympas. Puis l’un de mes amis a ouvert son propre studio et m’a proposé de travailler avec lui. J’ai sauté sur l’occasion. Là, je suis vraiment tombé amoureux du tatouage et ça a changé ma vie.

T.M : Comment en es tu arrivé à te spécialiser dans le portrait ?

N.H : Très souvent, les gens me demandaient des portraits. En fait, ce n’est pas réellement moi qui ai choisi, c’est eux ! Mais j’aime aussi faire d’autres choses. Enfin surtout dans le genre réaliste.

T.M : Quels genres de portraits préfères-tu ?

N.H : J’aime bien quand les gens me demandent de leur tatouer des membres de leur famille. Sinon j’apprécie particulièrement les stars de cinéma, plus que les groupes de musique.

T.M : qui te demande-t-on le plus souvent ? Marilyn Monroe ?

N.H : Oui, mais aussi Elvis, Batman, Edward aux mains d’argent…

T.M : Y a t-il un visage en particulier que tu rêverais de tatouer ?

N.H : Il doit certainement y en avoir beaucoup, mais là rien ne me vient ! Ce que j’aime, plus que de tatouer des visages d’acteurs et d’actrices, ce sont les personnages qu’ils incarnent à l’écran. J’aime aussi les vieilles photos de stars des années 30 et 40.

T.M : Est ce que tu cherches à reproduire une image fidèlement ou à ajouter ton grain de sel ?

N.H : Tout dépend de la demande du client : si il veut que l’image soit reproduite à l’identique, ou si il me laisse carte blanche. On en discute avant.

T.M : C’est la difficulté et le défi qu’implique le réalisme que tu aimes ?

N.H : Oui c’est vrai, c’est difficile et c’est un vrai défi de tatouer des portraits, mais ce n’est pas si difficile que ça, étant donné que l’image existe déjà. Tu n’as pas à te creuser la tête pour créer un grand dessin, comme le style japonais l’exige par exemple.

T.M : Pourquoi avoir préféré la couleur au noir et gris ?

N.H : Ce sont les clients qui m’ont demandé de faire des portraits en couleur. Ce n’est pas quelque chose que j’ai choisi, c’est plutôt arrivé comme ça naturellement.

T.M : Comment as-tu fait pour parvenir à maîtriser les couleurs ainsi ?

N.H : Il faut s’entrainer, pratiquer, et observer. La couleur, c’est toujours difficile. Et ça l’est encore pour moi aujourd’hui.

T.M : Donc tu as l’impression d’avoir encore des choses à apprendre ?

N.H : Bien sûr ! On a toujours encore des choses à apprendre, toujours. Les autres peuvent te montrer des choses, des techniques, dont tu n’avais pas idée. Il faut regarder les autres artistes.

T.M : Qui étaient ceux que tu admirais à tes débuts ?

N.H : Stéphane Chaudesaigues, Paul Booth, Robert Hernandez… Tous les grands !

T.M : Et en peinture ?

N.H : J’aime beaucoup les européens : Rembrandt, Caravage, Raphaël…

T.M : Toi aussi tu peins non ?

N.H : Oui, j’essaye. Après le tatouage, c’est quelque chose d’assez naturel. Les deux disciplines sont difficiles, exigeantes, elles requièrent beaucoup de travail.

T.M : Un travail acharné qui t’a permis d’atteindre un tel niveau en tatouage…

N.H : J’ai travaillé dur et beaucoup mais j’ai aussi regardé comment mes pairs faisaient. Et je leur ai posé pas mal de questions.

T.M : Ce serait ton conseil aux jeunes tatoueurs, « poser des questions » ?

N.H : Oui n’arrêtez jamais de poser des questions ! Comme je le disais, on apprend toujours aux côtés des autres artistes.

T.M : As tu l’impression qu’avec tous les artistes talentueux que compte actuellement la scène tattoo internationale, nous sommes dans une espèce d’âge d’or du tatouage ?

N.H : Je ne sais pas. Il y a tellement de bonnes choses qui se passent en ce moment dans le tatouage, des choses géniales… Mais il ne faut pas oublier que si on en est là aujourd’hui, c’est grâce à ceux qui étaient là avant nous.
Avant, c’était plus difficile de tatouer. Mais des artistes ont balisé le chemin malgré toutes les difficultés qu’ils ont rencontrées. Beaucoup de jeunes tatoueurs ont tendance à oublier ce que l’on doit à ceux qui nous ont précédés, et sans qui nous ne serions pas là à parler.

T.M : Tu trouves qu’il est trop facile aujourd’hui d’entamer une carrière dans le tatouage ?

N.H : C’est plus facile certes, mais quoiqu’il en soit, ça reste difficile. Être bon demande beaucoup de travail, et puis aujourd’hui nous sommes tellement nombreux qu’il faut être très bon pour sortir du lot.